La Chronique de Gildas

 
 

26 Août 2011

 
 

On est jamais à l'abri d'une cartouche!

Une quinzaine d'heures après l'apparition glamour de nos ours, nous embouquons le "Lancaster sound" qui est le détroit séparant le nord de la terre de Baffin et le sud de Deavon island. Nous entrons dans le premier jalon du mythique passage du nord ouest. Les fichiers météo reçus la veille sur" l'irridium" nous indiquent un vent de secteur est de 30 nœuds. Lucos et moi, on s'attend donc à rencontrer des conditions plus musclées. Mais les prévision météo ne  prennent évidemment pas en compte les effets produits par la géographie des lieux. Ces deux grosses îles sont montagneuses et nous ne tardons pas à nous rendre compte que l'effet venturi va générer un véritable coup de vent.
ET PAN! Cinquante nœuds comme un énorme coup de pied dans le cul . Ca surprend le marin! Très rapidement, la mer change d'aspect. Les vagues bleues sombres, presque noires, se creusent et s'abattent méchamment en laissant une vaste traine d'écume. Le vent froid hurle dans les haubans. "Roxane" dévale les pentes abruptes, conduite par le foc roulé jusqu'à ne laisser que la surface d'un torchon. Maintenant, la mer est blanche, toute faites de trainées d'écume que la tempête éparpille. La mer fume véritablement. Autour de nous, les vagues ont pris l'aspect crouteux, signe que l'on a gentiment atteint les cinquante nœuds et plus. Nous nous relayons à la barre, harnachés pour ne pas partir à l'eau. Plusieurs fois des déferlantes nous exposent dessus et couchent le bateau. Le barreur est alors noyé dans le cockpit et sonné comme un pauvre boxeur trempé.(-Elle est bonne? -Ouais mais je vais pas rester des plombes!).
Nous croisons de gros icebergs. Les icebergs  sont en temps normal des joyaux d'ombres subtiles et de lumière. Dans la tempête, la mer vient s'exploser de toute leur violence sur leurs énormes flancs, ils deviennent alors sublimes et terrifiants ,tout auréolés d'un nuage d'écume folle. C'est la journée de la roulette russe: Les icebergs lâchent toujours un troupeau de beaux glaçons à leurs pieds qui s'en vont vivre leur vie. Impossible dans cette furie de mer .d'en repérer un seul. Lancés dans des surfs a 10 ou 12 nœuds, poussés par des monstres rugissants, on est sûrs d'ouvrir une voie d'eau si l'un de ces charmants diamants d'une tonne avait la mauvaise idée de se trouver pile poil devant notre étrave. Ce serait LE drame! Justement il y en a un qui vient de passer à deux mètres.
-Tu l'avais vu?
Oui.(Menteur! tu crois que c'est comme ça que tu vas me rassurer?)
Un gros coup de vent, est toujours une épreuve difficile, un petit bateau devient un fétu insignifiant au cœur de la nature en colère. Pourtant, il se trouve des moments ou la beauté percute l'âme. Cette tempête est terrible et somptueuse aux pieds des majestueuses montagnes. Une épaisse et sombre masse nuageuse recouvre les reliefs de l'ile Baffin, en revanche, au dessus de nous, resplendit un ciel limpide. Tant mieux, c'est meilleur pour le moral...Enfer option first class!
Minuit, le soleil vient de descendre, le vent mollit un peu, les vagues perdent peu a peu de leur agressivité. C'est a ce moment là que la dernière grosse vague nous met au tapis comme pour nous dire:
"-Vous en voulez encore les mecs? Si vous n'en avez pas eu assez, prenez celle là dans votre petite gueule!
Le lendemain, poussés par un vent modéré nous passons le cap Ryley pour rentrer dans la baie de l'Erébus. Paysage essentiellement minéral et désolé. Y a t-il de l'eau sur Mars? Pas sûr, mais autour ,oui! Au fond de la baie, s'étire une lagune ou s'ébattent des pétrels par milliers. Des bandes de phoques batifolent autour de nous. A la pointe ouest de la baie, se dressent quelques stèles. C'est le mémorial désuet en souvenir des naufragers de l "Erébus" morts ici de froid et de faim. BRRRR!
-A table!
Demain: route vers l'île Cornwallis où se niche la base de "Resolute". . Si ils ont un bar, on en prendra une grosse! On n'échappe pas à la tradition.
Au moment ou j'écris ces mots,nous sommes au mouillage à Resolute: Il n'y a pas de bar!!!

 
 

Vendredi 24 Août   Latitude:74 °02 nord  Longitude: 68°53 ouest

 
  Traversée du bassin de Baffin depuis la côte ouest du Groenland et la terre de Baffin.(460 miles).
"Roxane" progresse dans les petits airs, tantôt à la voile, tantôt au moteur. Nous croisons les derniers icebergs que le courant emporte vers le nord. A mesure que nous gagnons dans l'ouest, leurs grandes silhouettes bleutées se raréfient. La brume est arrivée comme un nuage de mer qui respire lentement à la surface de l'eau grise. Le soleil n'est pas loin et quand on regarde dans sa direction, on se croirait dans une toile de William Turner.(Même pas besoin d'aller faire la queue au musée !). Au dessus de nous, le ciel est bleu. Les bleues cathédrales groenlandaises ont maintenant disparu laissant place à d'encore rares fragments de banquise canadiennes en dérive. Voila maintenant 24 heures que notre univers se limite à un cercle vaporeux qui limite notre vision à une portée de 500 mètres à l'intérieur duquel les glaçons surgissent comme par magie et sans sommation. la veille doit être constante et soutenue. Tout, absolument tout peut surgir! La preuve: Je suis dans un profond sommeil au creux de mon douillet...

_"Gildas...Gildas !"
Je bondis; le bateau est à 10 mètres d'une glace flottante aux formes baroques sur laquelle joue un rayon de soleil. Lucos est en train de rouler le génois dans la plus grande des excitations.
_"Vite...Mets la machine en route!
Aucune explication, j'ai juste le temps de jeter un coup d'œil vers la glace. INCROYABLE! Se dresse la silhouette d'un ours blanc!(Nous sommes à 160 miles de la terre de Baffin, soit environ 300km). Rapidement, nous faisons cap vers le refuge de l'ours.
-Je ne le vois plus...Il a du plonger!
-Ils étaient deux mon pote!
-Nan!
Si, j'te jure.
Merde, ou ils sont passé?
-Faisons des cercles concentriques, on finira bien par les retrouver.
Effectivement,3 mn plus tard, nous repérons les deux têtes blanches à la surface de l'eau, nageant en direction de leur îlot glacial. Les voila de nouveau tous les deux sur pattes, magnifiques animaux à l'épaisse fourrure jaunâtre, perdus comme deux naufrager sur un radeau de fortune. Trop inquiétés par notre présence, il décident de repartir à l'eau. Nous sommes vite sur eux, les voila qui nagent le long de la coque, tournants des regards farouches en notre direction. Quelques photos prises, nous décidons de les laisser à leurs tristes destins sans les épuiser d'avantage.
Quel coup de bol incroyable pour nous. Malchance pour eux, il y a de fortes chances pour que ces deux ours(probablement un couple) soit voués à une mort prochaine. Isolés sur une partie importante de la banquise partie en mer et pour ne pas avoir regagné  la côte à temps; il ne leur reste désormais qu'une infime partie de glace pour ce poser. Good Luck quand même à vous beautés sauvages! Après cette luxueuse, il est l'heure de ce préparer un petit repas. Dans l'après midi, c'est à nouveau à mon tour d'aller roupiller 2 heures. L'énorme qualité de la navigation au large est qu'elle favoris la faculté de rêver. lorsque je rentre dans mon cocon orange et noir et que je ferme le zip à fond, je sais que j'ouvre la porte de mon tube à rêver. Cette sieste m'apporte des songes rocambolesques. A mon réveil, je me demande très sérieusement si l'épisode des ours fut bien réelle. Pour m'en convaincre, j'ai regardé les photos.

 

 
 

Vendredi 12 Aout 2011

Atanikerdluk Disko Bay Greenland
 

-"T'as faim?
-Ouais.
-Beaucoup?
-Pas mal!
-Bon, fait chauffer la poêle, je ramène la morue!
-Une sole, ça m'irait mieux!...
Voila le scénario quotidien. On plonge la ligne dans l'eau, on attend cinq minutes et hop, ça y est, les courses sont faites. Dans le registre des recettes on a (presque) tout essayé: En friture, grillée à la poêle, au court bouillon, en citron et en brandade. Ici la morue n'est pas bêcheuse, on gagne à tous les coups.
Petit mouillage à six miles au nord de Sarsaat pour laisser passer un coup de nord abrité derrière une lagune sableuse au pied des montagnes. "Roxane" est mouillée à quelques dizaines de mètres de la grève. Belle vision matinale à l'heure du café: Trois renards jouent sur la plage, ils sont sans doute en vacances. Un aigle passe. On aperçoit les premiers cormorans depuis Illulissat, les goélands ont presque disparus, laissant la place aux pétrels fulmar. Le petit déjeuner terminé, je quitte le bord, sac au dos pour attaquer l'un des sommets qui nous surplombent. Il ressemble au cimier d'un brontosaure en fer rouillé. J'attaque tranquillement la pente et rencontre les premières patrouilles de moustiques. Ils sont nombreux en été mais d'une race plutôt cool qui pique peu. N'empêche que j'en recrache une dizaine par heure, (ça change de la morue). Mes chaussures de marche foulent tour à tour, des tapis moelleux de lichen, des arbustes lilliputiens, des chaos de pierres ou des zones de végétations grasses et  fleuries bordant de maigres ruisseaux. Le bateau rétrécit à chacun de mes regards vers le bas. Je rencontre peu de vie animale...Quelques petits passereaux gris et blancs, des petits groupes de bécasses aux ailes blanches. "Mon" sommet est une pointe faite d'éboulis de pierres rouges, il est trop raide sur cette face, je vais l'attaquer par la face nord, comme le feraient les gros balaises. Je contourne en passant le col. Rien de plus excitant qu'un col inconnu: On a le regard neuf d'un explorateur en attendant le panorama-surprise qui va bientôt apparaitre. Encore quelques mètres....Tout d'un coup, c'est la claque: La vision qui s'offre à moi est surpuissante. Un deuxième rideau de montagnes coiffées de glaciers barre l'horizon à cinq kilomètres. De longues pentes raides, veinées d'ocre clair et de langues de glace. Entre ces montagnes et moi, s'étend une vallée immense au cœur de laquelle coule le serpent luisant d'une rivière qui se perd dans le lointain. La surface de la vallée semble faite d'un manteau de velours gris et vert taché des ombres des nuages. J'ai le sentiment d'avoir pénétré le cœur secret du pays, je suis à la fois un homme préhistorique, un indien, un chercheur d'or de Jack London. L'espace démesuré est une drogue dure...L'espace, c'est ce qui rempli le plus la tête, l'espace donne l'envie de voler. Le cri rauque d'un grand corbeau transperce l'air.
Et me voila sur mon col et ...sur le cul; D'un coté, je survole la mer toute étoilée d'icebergs devant la masse bleutée de l'ile Disko, de l'autre j'entre au galop dans un chapitre du "Seigneur des anneaux". Je rencontre des cranes de rennes parés de leurs ramures. L'une de ces têtes possède encore sa mâchoire inférieure restée bloquée ouverte au maximum. On dirait vraiment que ce crane rit sans retenue dans la mort. Je le place bien droit sur une grosse roche pour qu'il lance son rire figé face à l'immensité.
Je lève les yeux vers la pyramide chaotique d'ou surgit la crête hérissée. Allez, un dernier effort, (mais ce n'est pas un effort, plutôt un plaisir, je sais que dans moins d'une heure je prendrais un nouveau shoot en pleine gueule. En fait, en grimpant, on s'offre toujours un point de vue plus luxueux.). Voila le sommet coiffé d'un gros cairn. Je suis bien sur au sommet du monde… Je vois loin comme les dieux. Je vois le nord ouest du détroit vers lequel "Roxane" naviguera lorsque le froid vent du nord aura terminé sa chanson. D'ailleurs, ce vent du nord amène lentement dans sa course une lame de brume blanche qui bouche déjà l'horizon.
Ce soir, le front de brume est arrivé jusqu'à nous, avançant comme un tsunami laiteux au travers duquel se perdent les silhouettes fantomatiques des grands vaisseaux de glace. Ca caille et le petit poêle ronronne. Au menu: Epais filets de sole avec riz. Ambiance chaumière: Lucos me fout des raclées au backgammon. Le vent rentre, on est bien abrité de la mer mais on va filer un peu de chaine de mouillage histoire d'attaquer la nuit peinard.
Les héros polaires ont la vie dure!

 

 
 

Mardi 2 Aout 2011

 IILULISSAT (Groenland)
 

Les cadeaux sont meilleurs quand on ne s'y attend pas. Je ne m'attendais pas a rallier Ilulissat depuis  kangerlussuaq ou m'attendent Lucos et "Roxane", assis entre les deux pilotes de l'avion. En ce dimanche, premier jour de ma vie sur le sol du Groenland, le ciel est aussi bleu que possible et c'est en t-shirt que j'embarque dans le petit avion rouge d'Air Greenland pour la dernière partie du voyage. Nous survolons le gigantesque glacier de Jakobshaven -sans doute l'un des plus gros du monde- qui vomit inexorablement ses milliards de tonnes d'iceberg en direction de la mer. Le spectacle est époustouflant de splendeur. Je porte mon regard aussi loin que possible pour jauger la densité des glaçons qui risquent de nous bloquer la route dans le bras nord entre l'ile Disko et la cote, chemin que nous devrons emprunter pour gagner "Upernavik", plus au nord  qui sera notre ultime escale Groenlandaise avant de faire route vers les iles Canadiennes.
Le port d'Ilulissat est rempli de bateaux de pêche de différentes tailles. Ils quittent la petite anse en se frayant un passage au travers des glaces flottantes et rentrent gavés de morues, flétans, soles ou autre loups (rien a voir avec le bar que les méditerranéens nomment ainsi). Les eaux sont poissonneuses à profusion. J'ai beau ne pas me faire d'illusion et réfréner mon romantisme chronique, les Inuits mythiques aux belles gueules burinées et les femmes chaussées de longues bottes de peaux ont bel et bien disparus du catalogue! Les minettes en jean moulants  roulent du cul en parlant dans leurs téléphones portables et les ados tatoués, tout de Nike vêtus, écoutent Eminem dans leur casque. Bill Gate et ses potes ont désormais atteints les coins les plus reculés de la planète, on le sait bien depuis un moment et je suis assez humaniste pour ne pas vouloir fourrer les peuples de la nature au musée, mais je ressens toujours cette même inquiétude devant l'uniformisation galopante du monde. Plus au nord, peut être auront nous la chance de croiser quelques authentiques chasseurs....Peut être mais rien de moins sûr!
Lucos s'est mis dans la tête de répertorier les bars les plus au nord du monde. Ça c'est de la vrai bonne ethnologie appliquée! Hier soir, en compagnie de l'équipage de "La Louise" nous avons joués les inspecteurs du "Gault et Millau "spécialisés "Bistrot" en allant passer la fin de la soirée au "Pub Tuukkaq". Un gros père totalement bourrés tente de pisser ses rafales de bière devant l'entrée sans s'écrouler il nous adresse un regard sans vie. Pour décrire l'ambiance qui régnait dans ce boyau sombre, entre la porte d'entrée et le comptoir situé au fond, j'évoquerais les tavernes sordides et poisseuses tapies dans les ruelles sombres des ports au 18 ème siècle. Les silhouettes aux yeux brillants et mornes  se meuvent maladroitement dans la pénombre, certains dorment, la tête pendante, un groupe de femmes déchirées chantent à tue tête, à cette table on rie niaisement, à celle ci on crie, à cette autre on pleurniche. En prévision de la fermeture maintenant imminente, les clients font provision de munitions afin de se gaver encore et encore d'alcool.
Il es minuit, au plus profond de la nuit estivale, c'est à dire qu'il fait jour comme à 22heures chez nous au 21 juin !
On est impatients de partir vers l'aventure.